lundi 17 janvier 2022

Maurice Denis peint Perros Guirec


Je n'ai pas commencé par la chronologie habituelle, vous présentant Maurice Denis né le 25 novembre 1870 à Granville, et mort le 13 novembre 1943 à Paris (14e), un célèbre peintre français du groupe des Nabis, (prophète en hébreu et en arabe) également décorateur, graveur, théoricien et historien de l'art : je l'ai pris en marche chez Morozov à Moscou, encore un grand voyageur !

En 1907, Maurice Denis a 33 ans, il commence à travailler sur un important projet décoratif pour le mécène russe Ivan Morozov, (qui avait été l'un des principaux mécènes de Claude Monet et Auguste Renoir, et qui possédait le tableau Terrasse du café le soir de Vincent van Gogh). L'expo Morozov organisée par Vuitton, je sais que vous êtes allés la voir à Paris, quelle chance vous avez ! Maurice crée un grand panneau mural, "L'histoire de Psyché", pour la salle de musique du palais Morozov à Moscou, et ajoutera ensuite quelques panneaux supplémentaires. Je vous les ai montrés hier. Ses honoraires pour ce projet lui permettront d'acheter sa maison en bord de mer en Bretagne ! Il parait que Morozov ne marchandait jamais !







Il faut dire qu'à partir de 1898, il avait abordé le thème des Baigneuses au cours de plusieurs séjours à Perros-Guirec en Bretagne où il achète en 1904 la villa Silencio y Descanso, (silence et repos) dont l'adresse actuelle est devenue 26 rue Maurice Denis ! Dans la décennie 1900, il fait partie, avec Lucien Simon, Edmond Aman-Jean, André Dauchez, George Desvallières, Charles Cottet d'un groupe de jeunes peintres surnommé « Bande noire » par les critiques d'art car ils rejettent les coloris clairs des impressionnistes. 

on voit bien Silencio et son grand mur au fond

vue opposée, prise du balcon : Denis transpose facilement des scènes de famille, en tableaux mythologiques, ici Jésus chez Marthe et Marie 1917, mais c'est ... chez lui ! 

même vue "soir sur la terrasse" 1921

autre vue d'une fenêtre de Silencio

La villa est dressée sur la pointe du château à Trestrignel, dominant la plage du même nom, et appartenait à l’actrice Mademoiselle Josset, (on hésite entre les prénoms Laure ou Marcelle), alors ruinée. Maurice y passera l’essentiel de ses étés, en famille. « C’était pour lui un endroit privilégié, souligne Fabienne Stahl, rédactrice d'une brochure sur le peintre. Là où il partait se ressourcer, où il aimait peindre et se retrouver avec ses proches. »  

Dans un courrier datant du 2 août 1908, le peintre raconte son coup de coeur pour la villa : « Je ne pensais guère, en vous écrivant de Bretagne il y a un mois que ce voyage serait si décisif. Peu de jours après, mon enthousiasme s'accrochait à un écriteau, « A vendre », suspendu au mur d'une charmante villa bâtie par un élève de Viollet Le Duc, pour une actrice aujourd'hui ruinée et dans la plus belle vue du monde, non (cela vous chagrinerait trop), mettons de Bretagne". 

Aujourd'hui, cette maison est à moi. Ma femme et mes enfants y sont installés, ils sont ravis ; ils ont un bois de pins extrêmement touffu et la plage au pied de la terrasse. »











Ce lieu inspira à Maurice Denis de nombreuses toiles. Par la suite, il abandonna la villa à ses nombreux enfants pour se réfugier dans le calme des écuries transformées en atelier. Il pouvait à loisir y contempler les couchers de soleil sur la mer. Aujourd'hui, Silencio appartient aux descendants de Maurice Denis mais aucune toile de l'artiste n'y est accrochée.

Occupée par l' armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, les planchers de la villa sont détruits, mais ni le gros-oeuvre, ni les décors peints au pochoir n'ont été touchés. Les peintures de Maurice Denis destinées à la décoration intérieure de la villa sont actuellement conservées au Musée des Jacobins de Morlaix, où je n'ai pu les retrouver. Le tympan de la porte d'accès au rez-de-chaussée comporte un ange peint avec l'inscription "Pax huic domui et habitantibus inea". Il subsiste quelques vitraux ornant les petites baies du troisième niveau, avec motif végétal bleu et vert portant l'inscription "labeur joye" c'est un jeu de mot avec la nom de la commanditaire d’origine, Melle Josset.

Maurice Denis a beaucoup peint Perros-Guirec, ses paysages, son patrimoine. Le livret invite les curieux à les (re) découvrir, avec plan à l’appui. Treize lieux sont identifiés, du port du Linkin à celui de Ploumanac’h en passant par La Clarté, avec même une escapade à Trégastel.

Maurice Denis est très religieux, et épris de mythologie
il transforme les paysages locaux en scènes mythologiques, ici Galatée

Galatée encore

Galatée toujours, au bateau rouge derrière elle


là Saint-Georges combat le dragon

là c'est Polyphème

Bacchus et Ariadne... à l'Hermitage !

Baigneuses au petit temple



Maurice Denis est l’auteur, dans un article de la revue Art et Critique de 1890, de la phrase restée célèbre comme la profession de foi de l’esthétique nabie et l’expression de son refus du réalisme. Elle est souvent interprétée comme une intuition de ce que sera l’abstraction : Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées". 

Une citation qui rappelle un texte de la Philosophie de l’art d’Hippolyte Taine, paru quelques années plus tôt (1865 et versions augmentées publiées à partir de 1882) : 

Par elles-mêmes et en dehors de leur emploi imitatif, les couleurs, comme les lignes, ont un sens. Une gamme de couleurs qui ne figurent aucun objet réel, comme une arabesque de lignes qui n’imitent aucun objet naturel, peut être riche ou maigre, élégante ou lourde. Notre impression varie avec leur assemblage ; leur assemblage a donc une expression. Un tableau est une surface colorée, dans laquelle les divers tons et les divers degrés de lumière sont répartis avec un certain choix ; voilà son être intime, que ces tons et ces degrés de lumière fassent des figures, des draperies, des architectures, c’est là pour eux une propriété ultérieure, qui n’empêche pas leur propriété primitive d’avoir toute son importance et tous ses droits. 




C’est la citation de Maurice Denis que l’histoire de l’art retiendra. Cette phrase restera comme l’une des premières définitions de l’art moderne libérant la peinture du boulet de la représentation mimétique. L’artiste ne manifestera d’ailleurs lui-même, à travers ses nombreuses réalisations, aucun effort pour mettre cette idée en peinture après la période nabie.

Plus tard, Maurice Denis résidera une grande partie de sa vie à Saint-Germain-en-Laye. Il utilisera les locaux d’un vieil hôpital appartenant à la paroisse. Il y construit un atelier en 1912, et devient propriétaire des lieux, qu’il renomme le « Prieuré » , à partir de 1914. Son succès est alors international, il est au sommet de sa notoriété.






le plus beau paysage du monde !