mardi 21 janvier 2020

La vision d'Auguste à Auch (2)

Pierre de Cortone, musée Nancy 1660

Je me rends compte être complètement en dehors des péripéties de l'actualité du monde : on ne nous parle que de Davos, de Trump à Davos, de la jeune Greta Thunberg à Davos, voilà que je vais vous reparler de la Sibylle de Tibur, je vous pardonne si vous vous en moquez totalement, mon excuse est que cette histoire se passe à Auch.

"Les sénateurs, remarquant la beauté surhumaine d'Auguste et l'éclat insoutenable de son regard, et prenant acte de la prospérité et de la paix qu'il faisait régner dans le monde, proposèrent de l'adorer. Vous voyez, on est loin de ce qui se passe avec l'impeachment du Président des States !

L'empereur demanda un délai. Il fit venir la Sibylle de Tibur et lui fit part de la motion des sénateurs. Celle-ci jeûna trois jours avant de rendre son oracle en récitant trente-trois vers acrostiches (d'ordinaire mis dans la bouche de la Sibylle Erythrée). Lues verticalement, les trente-quatre lettres de ces hexamètres grecs donnent : Ίησοϋς χριστός θεοΰ ύιος σωτήρ σταυρός. (Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur (par la) Croix)

Alors le ciel s'ouvrit et une théophanie lumineuse apparut au-dessus de l'empereur. Il vit dans le ciel une Vierge très belle, debout sur un autel et tenant un Enfant dans ses bras, cependant qu'une voix prononçait: «Hec ara filii Dei est». Il tomba à genoux et adora la vision. Les sénateurs auxquels il la rapporta s'en émerveillèrent. Elle eut lieu dans la chambre de l'empereur, sur l'emplacement de l'église de Sainte-Marie-au-Capitole que l'on appelle Sainte-Marie-de-l'Ara-Coeli, Ste Marie de l'autel du ciel (je cite des extraits du livre de Philippe Verdier in fine). Bien évidemment cela se passe à Rome.

la vision d'Alexandre à Auch

Auguste fit alors construire sur le site un autel avec l’inscription « Ara Primogeniti Dei », autel du premier-né de Dieu. Avant la présence d’un temple chrétien, c’est le temple consacré à Junon Moneta que les romains pouvaient admirer en ce lieu. Ce temple avait la caractéristique, comme l’épithète de la déesse le suggère, d’être l’endroit où l’on battait monnaie, juste à coté du temple majeur de Rome, le temple de Jupiter Capitolin. Pour la petite histoire, c’est aussi à cet emplacement que résidaient les fameuses oies du Capitole, qui permirent d’alerter la ville lors de l’invasion gauloise de -390.

les 124 marches de la Scalinata d’Aracoeli créées en 1348 pour accéder à l'église actuelle

Émile Mâle s' est longuement intéressé à son iconographie :

"Le XIIIe siècle connaissait déjà les Sibylles ; Vincent de Beauvais nomme les dix Sibylles cataloguées par Varron ; mais, en France, les artistes n'en représentent qu'une, la Sibylle Erythrée, la terrible prophétesse du jugement dernier.  L'Italie honorait une autre Sibylle : la Sibylle de Tibur. C'est qu'elle était mêlée aux légendes qui enveloppent d'un réseau de poésie cette merveilleuse Rome du Moyen Âge".

les reliques de Ste Hélène, mère de l'empereur Constantin, qui découvrit la  vraie croix et les instruments de la Passion. C'est la même Hélène que l'on voit à Valcabrère

La scène entre la Sibylle et Auguste accompagne, dans le Spéculum le miracle de la Verge d'Aaron, et vient immédiatement après le Buisson ardent et la Toison de Gédéon. Les plus anciennes représentations nous montrent, comme le Spéculum, Auguste seul avec la Sibylle (Très riches Heures de Chantilly ; tableau peint par Jean Van Eyck pour l'église d'Ypres [Triptyque de Saint-Martin d'Ypres, 1440]). Mais avec Rogier Van der Weyden (triptyque de Middlebourg, à Berlin)
  la scène s'enrichit tout d'un coup. On voit près d'Auguste trois personnages qui sont les témoins du miracle. Quels sont ces personnages ? Il suffit pour le savoir de lire le Mystère de l'incarnation joué à Rouen, ou le Mystère d'Octavien et de la Sibylle.



On verra qu'Auguste est accompagné de ses fidèles : sénéchal, prévôt, connétable; on verra aussi qu'au moment où la Vierge portant l'Enfant apparaît dans le ciel, Auguste se découvre, puis agite un encensoir. Dans notre art français, la vision de l'empereur Auguste se rencontre, assez souvent, au commencement du XVIe siècle. C'est un sujet particulièrement cher aux verriers champenois (Vitrail de Saint-Léger-lèz-Troyes, de Saint-Parres-les-Tertres, d'Ervy, de Saint-Alpin de Châlons, de Sens, du château de Fleurigny). Dans tous ces vitraux l'influence des Mystères est évidente.... Une tapisserie du Musée de Cluny, qui représente la vision d'Auguste, nous montre aussi trois suivantes derrière la Sibylle de Tibur." (É. Mâle, L'Art religieux..., p 255)

l'arbre aux sibylles de Notre Dame du Fort à Etampes : Tiburtina :
Hic vere magnus est, ipsum adora : "celui-ci est vraiment grand, adore le"
ou encore : Hic puer major te est et ideo ipsum adora


PS : extraits du livre de Philippe Verdier

https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1982_num_94_1_2642






Tout cela pour vous dire que, quand je finirai par vous montrer les Sibylles de Saint-Bertrand, 

il y a du lourd derrière !

Historia romana excerpta ex libris Pauli Orosii,
manuscrit italien exécuté au XVIe siècle, et attribué à Giulio Clovio

pour patienter : notre Sibylle se contente à St Bertrand de brandir la main du soldat qui a giflé le Christ