Nous
sommes en 1937, drôle d'époque ! C'est l'Expo universelle à Paris ! On ne
lésine pas sur l'architecture : on construit des bâtiments en dur, un par
Nation, même si on les démolira ensuite ! Les Etats se battent pour disposer du
maximum de place possible : les deux challengers, l'Allemagne qui prépare
sa "nazi-icité" si l'on peut dire, en érigeant le
bâtiment le plus haut possible, n'hésitant pas à voler les plans de l'URSS pour y arriver !
A
l'origine, Hitler souhaite se retirer de l'exposition, mais son
architecte Albert Speer le convainc de participer, montrant au Führer ses plans pour le pavillon allemand, conçu pour représenter un
rempart contre le communisme : une grande tour, couronnée des symboles du
nazisme : un aigle et la croix gammée : tout cela exhibé au pied de la
Tour Eiffel...trois ans avant 1940 !
Face
au pavillon de l’Allemagne, le pavillon soviétique : Staline veut montrer que l'URSS est la troisième puissance industrielle mondiale : il veut représenter l'Industrie et l'Agriculture, qui voit collectiviser les terres avec la création des kolkhozes. On érigera donc un ouvrier gigantesque, un marteau à la main. L'Agriculture sera représentée par une kolkhozienne brandissant une faucille. L'oeuvre sera confiée à une femme, Véra Mukhina. Elle utilisera l'acier inoxydable, que rien ne peut l'altérer, et qui brille comme le soleil.
C'est le triomphe du prolétariat mais aussi l'annonce de la révolution mondiale et de conquête soviétique. L’idéal communiste parvient à faire avancer les hommes (et les femmes) vers le
progrès et le bonheur.
La localisation de l'œuvre fait sens car elle se
situe en face du pavillon de l'Allemagne nazie. Le but étant de montrer la
supériorité de l'Homme soviétique sur l'Homme allemand. Cela préfigure déjà le
conflit idéologique entre les deux pays, qui va devenir guerrier à partir de
juin 1941
L'Histoire n'est jamais simple ! Car le pavillon est édifié sur une base, ornée de bas-reliefs monumentaux, représentant un groupe de musiciens et de danseurs, issus des peuples soviétiques, conçu par Joseph Tchaïkov.
L'expo se passe, (entre parenthèses un petit train électrique emmène les visiteurs). Elle dure six mois. Et vient le temps de la démolition ! Quel dommage !
je vous renvoie à sylvan georges que je remercie pour ses photos |
Car vient le temps de récupérer les scultpures ! L'industrie et l'Agriculture retournent à Moscou, trainent des mois dans des terrains vagues... jusqu'à être remontés sur un pavillon identique à celui de Paris.
l'écharpe est énorme et a fait à l'origine l'objet de longues discussions esthétiques et techniques |
Les reliefs de Tchaïkov, eux, sont offerts à l'Union fédérale française de la métallurgie CGT qui les installe dans le parc du
château qu'elle vient d'acquérir à Baillet-en-France. Lieu de loisirs sous les
premiers congés payés, confisqué dès 1939, la propriété devient un centre de
jeunesse pétainiste. Au printemps 1941, avec la rupture du pacte
germano-soviétique, les reliefs, considérés comme des symboles du bolchevisme,
sont détruits à la masse. Remisés après-guerre dans la glacière, ils tombent
dans l'oubli. Le château est détruit dans les années 1980.
C'est alors que l'INRAP, qui nous accoutume à repérer puis récupérer les vestiges archéologiques, retrouve les débris cassés en 2009, et les ressucite ! Il s'agit d'un ensemble monumental de musiciens et de danseurs.
Témoin des rapports étroits entretenus par
le mouvement ouvrier français avec l'Union soviétique, cette oeuvre permet de
redécouvrir un artiste que son oeuvre « officielle » postérieure avait conduit
à dédaigner. Issu du monde juif traditionnel, formé au métier de scribe,
Tchaïkov étudie la sculpture à Paris dans les années 1910 à la Ruche. À la
faveur de l'effervescence révolutionnaire, il crée une expression artistique
originale avec des artistes comme El Lissitsky ou Chagall, et enseigne aux
Ateliers supérieurs d'art et technique avec Rodtchenko ou Tatline, avant
d'évoluer vers le réalisme socialiste.
J'adore cette expression du "réalisme socialiste", qui veut montrer de la part du Peuple des Lumières (que nous sommes, disons-nous), un recul de personnes nées sous l'influence du clacissisme gréco-romain, plus habitué à mettre en scène les déesses déshabillées de l'Olympe, que les travailleurs des usines et de la terre ! L'industrie c'est Vulcain, et l'agriculture Cérès : même la CGT cède à cette interprétation !...et casse (à la masse) le réalisme socialiste !
J'adore cette expression du "réalisme socialiste", qui veut montrer de la part du Peuple des Lumières (que nous sommes, disons-nous), un recul de personnes nées sous l'influence du clacissisme gréco-romain, plus habitué à mettre en scène les déesses déshabillées de l'Olympe, que les travailleurs des usines et de la terre ! L'industrie c'est Vulcain, et l'agriculture Cérès : même la CGT cède à cette interprétation !...et casse (à la masse) le réalisme socialiste !
La restauration des reliefs, propriété de la commune de
Baillet-en-France, est ensuite réalisée sous la responsabilité scientifique de
Chantal Quirot, restauratrice au musée national d'Art moderne, et d'Elisabeth
Marie-Victoire du Laboratoire de recherche des monuments historiques, par Denis
Chalard et son équipe, grâce au concours financier de la ville de
Baillet-en-France, du département du Val-d'Oise, de l'Institut national de
recherches archéologiques préventives et de la cité de la Musique.
L'ensemble des reliefs est maintenant visible au musée archéologique
départemental du Val-d'Oise .
Quant à l'ouvrier et la kolkhozienne, ils sont revenus en majesté à Moscou...
...Quant à Paris
la Ville Lumière se prépare désormais aux Jeux Olympiques :
signe des temps
on honorait Industrie et Agriculture
on sacrifie aujourd'hui aux Jeux du Cirque
nous sommes redevenus tous Romains !
voilà comment on écrit "l'ouvrier et la kolkhozienne" en cyrillique mot à mot : "histoire ouvrier et kolkhozienne" |
PS : la mère de la Patrie :