…et Holopherne (le pauvre) !
Nous sommes dans la Bible. C ’est parfois surprenant les déménagements…des amis : ressortent des bibliothèques des livres enfouis, que l’on déniche de leur cachette pour les mettre en cartons, avant de les ré-aligner dans la nouvelle bilbiothèque, et de les voir de nouveau disparaître !
J’ai décidé de revisiter dans « la Gazette des Arts » les peintures célèbres à la lumière de l’Histoire, et vous ai déjà montré quelques merveilles quand je vous ai parlé d’Andromède ; Pyrame ; Persée et sa mère Danaé ; ou Candaule. Figurez-vous que me tombe donc dans les mains, en plein déménagement d’une bibliothèque ancienne, un livre surprenant : « les femmes de la Bible ». En deux tomes. Ecrit par un curé, l’abbé G.Darboy, chanoine (honoraire) de Paris, sans doute émoustillé par son vœu de chasteté, qui recense les exploits de trente-huit femmes aux prénoms célèbres. Ce n’est pas tout : avec une collection de portraits gravés par les meilleurs artistes, d’après les dessins de G.Staal.
J’imagine que ce monsieur n’a pas dessiné de mémoire, et qu’il a tout inventé. Mais ma foi les trente-huit gravures montrent des dames fort affables, même si du fait de leur célébrité, on n’avait pas imaginé qu’elles puissent avoir une consistance réelle, faite de chairs comme vous et moi. Ma foi, (c’est le cas de le dire), on se prend au jeu.
Si nous étions à la télé l’animateur inventerait un quizz pour savoir si vous et moi saurions citer au moins un nom sur les trente-huit ! Un prénom du moins !
Vous séchez ? Cela ne m’étonne guère, par exemple je n’aurais pas osé citer la Sainte-Vierge. Elle y est. Reste trente-sept ! Eh bien il y a Marie-Madeleine. Il y a tant qu’à faire : la femme adultère (elle n’a pas de prénom). Il y a Anne, la mère de la Sainte-Vierge. Il y a une autre Marie, mais c’est la sœur de Moïse, jamais entendu parler ! Dans les inconnues, il y a la femme du Lévite d’Ephraïm : c’est tellement mystérieux qu’on a envie savoir qui c’est ? Aussi la pythonisse d’Endor ! Une pythonisse ! métier (de nécromancienne) disparu ! Inconnue elle aussi !
Je vous rassure : il y a notre mère à tous : Eve. Qu’est-ce que l’abbé peut bien raconter sur elle pendant vingt pages ! Il est gonflé : il nous raconte le Paradis, comme s’il y avait réellement séjourné ! Et Dalila, ça, vous saviez. La reine de Saba, vous connaissez aussi. Il y a la mère des Machabées. Ouf ? Allo ? dirait la (célèbre) vedette de la télé ! Non pas Zaïa, Nabilla (un jour un abbé moderne écrira : « les femmes de la télé »)
J’arrête, constatant que vous comme moi, n’en connaissons qu’une petite minorité !
Et il y a Judith.
Je vais vous parler d’elle, car son histoire a inspiré des tas de peintres, vu la beauté du sujet, une histoire qui finit bien (pour Judith), ce qui n’est pas toujours le cas vu que la cause des femmes est souvent dramatique (la parité bafouée, autrefois et aujourd’hui). Bref ! Voilà le praxis comme ils disent à la télé quand ils font la promo de leur dernier film.
Ca se passe dans des temps immémoriaux : six-cent ans avant Jésus-Christ ! Nabuchodonosor a envoyé Holopherne châtier les peuples de l'ouest parce qu'ils ont refusé de le soutenir dans la guerre qu'il a menée contre le roi perse Arphaxad . Après avoir pillé, tué et ravagé tout le Proche-Orient, Holopherne assiège Béthulie, une ville juive (probablement Massalah) qui barre un passage dans les montagnes de Judée. Comme l'eau vient à manquer dans les citernes, les habitants (dépités que le Dieu d’Israël n’intervienne pas) sont sur le point de se rendre, mais voilà qu’une jeune veuve, Judith, a été dotée par le sort de tous les atouts possibles : une extraordinaire beauté ; une richesse considérable ; et la détermination (farouche) qui suit le décès de son époux (agriculteur), victime d’une bête insolation pendant la moisson. N’ayant plus rien à perdre (elle est devenue inconsolable), elle prend la décision de sauver la ville. Elle trouve, elle aussi, que Dieu ne se manifeste pas assez, et décide de le pousser dans ses retranchements. Avec sa servante (sa beauté) et des cruches de vin, elle pénètre dans le camp d'Holopherne. Ce dernier (qui s’embêtait sans télé) est tout de suite ensorcelé. Elle lui fait croire qu’elle va trahir les siens et lui faire ouvrir des portes secrètes. Il l’accueille donc comme transfuge, et le quatrième jour organise en son honneur un grand banquet à la fin duquel ses domestiques se retirent discrètement pour ne pas troubler la nuit d'amour qui, pensent-ils, attend leur maître. Entre parenthèses Holopherne paraît avoir eu assez d’élégance et de retenue pour ne pas avoir violé Judith de suite, bon point pour lui.
Mais elle continue à le faire boire et, quand il est ivre-mort, c’est le cas de le dire, elle le décapite avec un cimeterre pendu à un poteau de la tente, scène terrible et sanglante, on imagine l’opération sans anesthésie avec Holopherne complètement imbibé, et du sang partout.
Judith revient à Béthulie avec la tête qu’elle exhibe à qui veut la voir. Quand les soldats découvrent au matin leur chef tronçonné, ils sont pris de panique : ils s'enfuient et les juifs trucident facilement ceux qui restent. Je vous dis : du sang partout !
De là à en faire un tableau, il n’y a qu’un pas : le Caravage peint vers 1598 : Giuditta e Oloferne, suite à une commande d’Ottavio Costa avec plusieurs autres œuvres comme : « L'Extase de saint François » (c’est bien avant le Pape François) et « Marthe et Marie-Madeleine ». Vous voyez qu’à l’époque, on peignait « les femmes de la Bible ».
On dit que Fillide Melendroni, la plus célèbre des courtisanes à avoir posé pour Le Caravage, est le modèle de Judith ; cette jeune fille de 20 ans en 1600, est également la Catherine de Sainte Catherine d'Alexandrie, et la Marie Madeleine de Marthe et Marie-Madeleine.
Le commentaire officiel du tableau est amusant comme tout : « La scène, qui est issue de l'Ancien Testament (Livre de Judith, 13:6-8), représente la veuve Judith qui, après avoir séduit le général assyrien Holopherne, l'assassine durant son sommeil pour sauver son peuple du tyran pendant le siège de Béthulie. La servante qui l'accompagne porte le sac pour emmener la tête quand elle sera coupée, car le Caravage a figé l'instant - Judith n'a pas encore fini de couper cette tête, le sang gicle en trois jets sur l'oreiller et le drap - rendant l'épisode intemporel ». J’ajoute qu’un parolier a mis des mots dans la bouche de Judith, ce qui donne : « Fortifie-moi en ce jour, Seigneur Dieu d'Israël » puisqu’elle intervient au nom de Dieu (qui lui a donné délégation si vous voyez ce que je veux dire).
Quant à la servante, elle commente : « c'est cruel, mais il faut le faire, il est trop tyrannique et demain son armée va nous écraser ». Ce qu’on peut résumer ainsi : « quand faut y aller, faut y aller » !
Gustav Klimt en 1901 peint la même scène, mais nous cache la tête d’Holopherne dans le coin inférieur droit. Judith vient de tuer Holopherne et pourtant son visage, ses yeux mi-clos expriment le plaisir et la volupté. La tunique de Judith est transparente, son sein droit est perceptible, en revanche son sein gauche et son ventre sont dénudés, sans pudeur. Un collier en or et en pierreries lui enserre le cou. Sa chevelure est volumineuse et ses cheveux semblent frisés.
La main de Judith ne tient pas la tête d'Holopherne, elle est à peine posée, presque caressante.
Sa bouche, petite et légèrement entrouverte, exprime la sensualité. C'est la bouche d'une femme qui vient d'être embrassée ou qui se prépare à l'être. Par pure provocation, le regard de Judith est fixé sur le spectateur, ce qui, compte-tenu de l'atrocité de l'événement, le met tout à fait mal à l'aise.
En règle générale, les femmes symbolisent la vie, qu'elles portent en elles alors que dans cette affaire un crime (atroce) vient d'être commis par une femme, et celle-ci ne semble en rien tourmentée.
Artemisia Lomi Gentileschi (1593-1652), une des premières femmes-peintre de l’Histoire, consacre cinq tableaux à Judith. Quand on les compare à celle du Caravage, dont elle s'est inspirée, on remarque tout de suite la différence. La Judith du Caravage est frêle et effrayée. Elle se tient le plus loin possible d'Holopherne qu'elle ne tient que par les cheveux, comme si elle voulait éviter à tout prix que sa robe soit tachée par de sang, chose bien compréhensible. Elle a une expression de dégoût, elle se force assurément. La vieille servante paraît plus déterminée, les mâchoires serrées, les yeux écarquillés, elle tient anxieusement le sac dans lequel elle espère cacher la tête de l'assyrien. Le général essaie de se relever et regarde dans la direction des deux femmes.
Quel contraste avec le personnage représenté par Gentileschi. Ici on voit une femme forte et courageuse, découpant la tête de l'homme comme un charcutier découpe un porc. Son expression est calme et déterminée. Contrairement à la servante du Caravage, elle est plus jeune et se tient à côté et non derrière Judith. Elle participe activement et aide sa maîtresse en tenant le général des deux mains. Celui-ci a l'air plutôt surpris et effrayé et tente mollement de repousser la servante. Les deux autres tableaux représentant la suite de l'histoire montrent, de façon tout aussi théâtrale, des femmes déterminées et complices.
Lavina Fontana s'est, elle aussi, mesurée au sujet et nous en propose une interprétation totalement différente. Elle met l'accent sur l'aspect sacré du geste héroïque et sur le mysticisme de la protagoniste qui lève les yeux vers le ciel. La tête d'Holopherne est sans relief et ressemble à un masque. Quelques années plus tard elle représente Judith comme une aristocrate élégante mais peu expressive. Une autre artiste a peint cette scène : Fede Galizia. Elle s'attarde plus sur la richesse des étoffes que sur l'action ou les états d'âme des protagonistes. Nous sommes loin des femmes de chair et de sang d'Artemisia.
J’en ai trouvé bien d’autres artistes : Horace Vernet ; von Stuck ; Donatello à Florence ; Giuseppe Cesari ; Cristofano Allori ; Elisabetta Sirani ; Michel Ange dans la Chapelle Sixtine …
Certains ont leur vérité…la vérité ? Selon eux (et en toute logique), Judith a du céder aux avances d’Holopherne… voici ce commentaire de l’interprétation d’Horace Vernet : « Dans ses yeux, notamment, brillent une cruauté candide et une soif de vengeance ; car il lui faut également venger son corps violé par l’odieux païen. En fait, ce dernier n’est guère séduisant ; il semble être, au fond, le type du bon enfant. Repu, il dort sur un lit de roses ; peut-être ronfle-t-il : les lèvres sont entrouvertes comme s’il embrassait encore ; il y a un instant, il reposait dans les bras du bonheur, et peut-être le bonheur reposait-il même dans ses bras ; ivre de bonheur et certainement de vin aussi… ». Judith s’est abandonnée et a failli…Les artistes commencent à confondre Judith …et Salomé…
leur message est clair :
tyrans, méfiez-vous :
les femmes de la Bible ne sont pas des mauviettes !
Trophime Bigot |
forcément, toutes ces histoires impliquent une suite…
bien sûr que le mieux est de se rendre presto subito à Florence et d'admirer la Judith de Donatello en dégustant des spaghetti aux tartuffia bianca...! |