l'été chevauche un lion, l'hiver un sanglier le printemps chevauche un taureau, l'automne un tigre |
C'est l'histoire d'une stèle funéraire, découverte en Tunisie à Mactar en 1882 par Alfonse Letaille (1854-1912), militaire et archéologue. Puis transportée au Louvre où elle figure dans les réserves, mais photographiée... ouf ! ! Elle a été traduite, et illustre l'ascenseur social d'un petit agriculteur tunisien, cultivant les moissons, s'adonnant à l'agriculture de l'époque... et réussissant à devenir en fin de vie .... (sans avoir fait l'ENA)... sénateur... un homme politique écouté de ses pairs, cela en pleine crise puisqu'à l'époque, les guerres étaient encore plus fréquentes qu'aujourd'hui !
Je me transporte comme à l'accoutumée à Makthar grâce à googlemap, "développe le panneau latéral", repère l'aqueduc, l'arc de Trajan, les Thermes avec leurs murs immenses, et ainsi imagine notre archéologue d'alors tombant sur la stèle.
ce n'est pas si souvent que l'on peut lire le latin, je vous donne de suite la traduction :
"Je suis né d’une famille
pauvre ; mon père n’avait ni revenu, ni maison à lui. Depuis le jour de ma
naissance, j’ai toujours cultivé mon champ. Ma terre ni moi n’avons pris aucun
repos. Lorsque revenait l’époque de l’année où les moissons étaient mûres,
j’étais le premier à couper mes chaumes, lorsque paraissaient dans les
campagnes les groupes de moissonneurs, qui vont se louer autour de Cirta, la
capitale des numides, ou dans les plaines que domine la montagne de Jupiter,
alors j’étais le premier à moissonner mon champ. Puis, quittant mon pays, j’ai,
pendant douze ans, moissonné pour autrui sous un soleil de feu ; pendant onze
ans, j’ai commandé une équipe de moissonneurs et j’ai fauché le blé dans les
champs des Numides. A force de travailler, ayant su me contenter de peu, je
suis enfin devenu propriétaire d’une maison et d’un domaine : aujourd’hui, je
vis dans l’aisance. J’ai même atteint les honneurs : je fus appelé à siéger au
sénat de ma cité, et de petit paysan je devins censeur. J’ai vu naître et
grandir autour de moi mes enfants et mes petits-enfants ; ma vie s’est écoulée
paisible et honoré de tous."
... il est émouvant de voir la réussite d'un agriculteur romain dans les années 260-270 de notre ère, une période au cours de laquelle l’Empire fut pourtant confronté à une terrible crise où se mêlèrent raids barbares, guerres civiles et étrangères, sécessions, pestes…
A lire ce long texte pourtant, on se rend compte que
l’Africa romaine, comme d’autres provinces du reste, fut épargnée par cet
épouvantable maëlstrom, preuve s’il en était besoin, qu’il est toujours risqué
de vouloir réduire une entière période à un unique phénomène.
Au temps de la grande crise du IIIème siècle, on pouvait
donc vivre heureux en Espagne, dans l’Afrique romaine ou même ailleurs...
... ailleurs c'est Saint Romain en Gal, où fut trouvée la célèbre mosaïque du calendrier agricole, avant que la dite mosaïque soit offerte aux seuls habitants de ...St Germain en Laye, les habitants locaux trop peu évolués ne risquant pas de s'intéresser à la réussite de leurs propres ancêtres, susceptibles eux aussi de devenir cultivés voire de diriger les affaires de leurs contrées si éloignées de Lutèce !
C'est à JF Bradu, (dont je vous mentionnerai les publications plus bas), que l'on doit la description très pédagogique de la mosaïque :
on peut ainsi reconstituer le travail du moissonneur de Mactar
quand il concerne les cultures méditerranéennes
les vendanges de vignes hautes comme elles le restent en Italie |
le foulage du raisin |
le ramassage des olives, puis leur pressage |
très émouvant, non, ces activités quasiment inchangées depuis deux mille ans ?
je trouve une espèce de consécration à Jéricho, dans les fouilles du palais Hisham où figure une mosaïque immense :
l'arbre des pommes d'or du jardin des Hespérides
où les forts mangent les faibles en toute impunité :
car c'est "dans leur nature"
comme il est rare, mais réconfortant
qu'un agriculteur devienne sénateur !
PS (1) : redevenant sérieux, je rends hommage à Jean-François Bradu, professeur agrégé d'Histoire à Orléans, grâce à qui j'ai pu vous montrer le détail de la mosaïque de St Romain en Gal, ce que je risquais moins de faire grâce au musée de st Germain en Laye qui lui, malgré sa surcharge de tâches administrativement accaparantes (et urgentes), nous donne le commentaire qui suit :
un boulot impressionnant depuis 24 ans ! |
PAVEMENT DE MOSAÏQUE
La mosaïque, dont plus du tiers manque, ornait le sol d’une grande demeure sub-urbaine de Saint-Romain-en-Gal, dans l’antiquité l’un des quartiers de Vienne. C’était l’une des villes les plus belles et les plus prospères de la Gaule. Des ateliers de mosaïstes installés à Vienne satisfaisaient la demande d’une clientèle aisée.
Les activités agricoles et les fêtes des quatre saisons sont représentées en 40 tableaux de 59 cm chacun, dont 27 subsistent, insérés dans une riche tresse décorative. Ce thème n’est pas souvent utilisé par les mosaïstes en général, et par les ateliers de Vienne en particulier, qui préfèrent représenter des scènes mythologiques ou des natures mortes. Ils se sont sans doute inspirés d’un ou plusieurs modèles romains, valables pour l’ensemble des pays méditerranéens, aussi ne faut-il pas considérer cette mosaïque comme un « reportage » sur les pratiques agricoles gallo-romaines.
Les différents tableaux s’articulent autour des quatre tableaux centraux où figurent des personnifications des Saisons : l’Hiver est une femme emmitouflée sur un sanglier, le Printemps un Amour nu sur un taureau, l’Été un Amour nu sur un lion, l’Automne un Amour nu sur un tigre.
C’est l’été. Le tableau ne montre pas les hommes au travail,
mais en train d’accomplir un rite religieux, donc sans doute un jour chômé.
Dans la campagne, une statue de dieu placée sur une colonne et un autel, à ses
pieds, constituent un petit sanctuaire. Un homme et une femme font sans doute
des offrandes à la divinité, pour s’attirer ses bonnes grâces.
Le dieu est nu, il brandit de sa main droite la foudre, et tient, posé au sol, de sa main gauche, un objet qui pourrait être une roue. Il s’agirait donc d’une représentation de Taranis, dieu d’origine indigène représenté à l’époque gallo-romaine sous les traits d’un Jupiter à la roue. Dans tout ce qui nous est conservé de la mosaïque, cette scène serait la seule où transparaisse une influence locale.
C’est l’automne. Sous un petit édifice couvert de tuiles,
deux hommes en tenue de travail, c’est-à-dire vêtus d’un simple pagne,
actionnent un pressoir. Il s’agit d’un pressoir à levier, et non à vis. Le
contenu de la grosse jarre placée sous l’appentis, compressé par le couvercle
mu par le levier, transformé en liquide, se déverse par un trou dans un
récipient posé au sol, à l’extérieur.
Selon certains, le pressage est celui des olives, pour fabriquer l’huile, pour d’autres celui du raisin, pour faire du vin. Il n’est pas certain que la technologie décrite ait encore été en usage au IIIe siècle en Gaule du sud, car les mosaïstes ont sans doute repris des « cartons » ou modèles anciens, mais l’oléiculture et surtout la viticulture étaient bien des activités agricoles très importantes dans cette région.
C’est l’hiver. Deux personnages vêtus d’une tunique courte
mais aussi d’une capeline à capuchon transportent sur un brancard ce qui doit
être du fumier, destiné à enrichir les champs. À l’arrière-plan, un toit de
chaume porté par deux poteaux en bois évoque les bâtiments utilitaires d’une
exploitation agricole. Les textes antiques nous apprennent que le marnage et
l’assolement étaient aussi pratiqués.
On a trouvé là-bas une mosaïque d'Amphytrite et son époux Poséidon, équipé
de son auguste Zizi
en bas, une scène de pêche à la ligne