"À la nuit tombée, les lumières illuminent toujours les vitrines de l’atelier d’Antoine Béchet et sa discrète enseigne de la rue de Louvois, à deux pas du Palais Royal. En pleine effervescence, les équipes de cet encadreur d’art font les trois-huit. En ligne de mire, la foire de Maastricht. Dans la foulée, le Salon du dessin à Paris fin mars. -« En ce moment, nous travaillons sept jours sur sept, car il faut sortir des dizaines, voire des centaines d’encadrements rien que pour ces deux événements », confie Antoine Béchet. Pour ce spécialiste de l’encadrement du dessin ancien, l’instant est crucial. « C’est un métier qui demande beaucoup de soin et le détail final fait vraiment la différence, comme, par exemple, ajuster un angle qui pourrait détourner le regard du sujet. » Trois mois de préparation auront ainsi été nécessaires pour livrer dans les temps le fameux salon du dessin parisien dont il loue le prestige, mais aussi « le caractère festif ».
"Les salons, Antoine Béchet connaît. Depuis 25 ans, ce maître artisan écume les foires, fréquente l’hôtel Drouot « en voisin », se rend deux fois par an à la Mercanteinfiera de Parme pour y rencontrer ses quelque mille antiquaires – « en général, j’arrive en même temps que les marchands qui déchargent leur camion à l’extérieur des halls ! »
"Italiens de la Renaissance, majestueux Louis XVI ou nobles hollandais en ébène, il constitue patiemment une collection rare de cadres anciens. Et se fait passeur d’un savoir-faire exigeant et discret auprès de ses équipes et de ses apprentis. « C’est un métier de transmission. Même si certains préfèrent garder leurs secrets – quelque part, on forme la future concurrence –, c’est la condition sine qua non pour faire vivre cette tradition. »
"Un ébéniste-sculpteur, un ébéniste doreur-marqueteur, une
restauratrice de bois doré et trois encadreurs sont sur le pont. Dernière
recrue en date, Théotime Héraud, 22 ans, applique délicatement un « maquillage
» sur la dorure d’un cadre – « un petit jus de gouache pour reprendre des
éclats blancs un peu disgracieux. » Après deux ans de CAP et une formation à
l’école de la Bonne Graine, l’école par laquelle est passée Antoine Béchet
quelques décennies plus tôt, ce spécialiste de la restauration en dorure fait
ses armes et vient ici « finir d’apprendre son métier ».
« Avec mon équipe, nous nous sommes au fur et à mesure spécialisés dans le montage du dessin ancien à la manière des montages dits Mariette, une manière très française de monter des dessins avec des papiers à l’origine teintés dans la masse », explique Antoine Béchet. Créés par le dessinateur et collectionneur Pierre-Jean Mariette au XVIIIème siècle, ces célèbres montages étaient à l’origine fabriqués avec des papiers colorés au bleu de pastel dans le sud-ouest de la France. « Ce bleu a des nuances très riches qui sont complémentaires de différentes techniques de dessins comme la sanguine ou l’encre ferro-gallique. Il fait chanter le trait », précise Antoine Béchet qui réalise aujourd’hui ses passe-partout avec des papiers gouachés, « un procédé totalement différent, mais dont le rendu est très proche ».
"Sur place, il fabrique son papier de travail, c’est-à-dire le support façonné à partir de feuilles de papier traitées en Ecosse ou encore en Allemagne par des papetiers spécialisés. Contrecollées sur des cartons pur chiffon, elles assurent une conservation optimale des dessins. Un impératif pour garantir aux clients la neutralité de l’atmosphère du sous-verre. « Les restaurateurs les plus exigeants recommandent de changer les montages tous les cinq ans, voire tous les 10 ans, car le papier pompe l’acidité ambiante. Mais nous faisons en sorte que nos sous-verres soient hermétiquement fermés, ce qui limite considérablement les échanges d’air. » Ce à quoi veillent les encadreurs dans l’arrière-boutique, posant délicatement les vitres sur les passe-partout à l’affût de la moindre poussière, loin des ateliers d’ébénisterie de la cour et de leurs scories de bois.
À la fois collectionneur, restaurateur et créateur de cadres d’art, Antoine Béchet compte parmi ses clients des marchands, des particuliers et des musées, notamment le musée Hermès dont il salue « l’éthique, le respect des œuvres et la qualité de la recherche esthétique » pour leurs choix d’encadrement. « L’équilibre entre la recherche de cadres anciens et la création prend du temps », ajoute Antoine Béchet, pour qui les cadres sont des objets d’art à part entière. « Ils viennent de l’antiquité et ont traversé le temps. Dans la collection que j’essaye de constituer, je recherche des cadres qui présentent le meilleur état de conservation possible, c’est-à-dire non recoupés, non redorés. Le but étant de trouver l’association la plus esthétique possible avec le sujet – c’est-à-dire l’œuvre – tout en respectant l’intégrité du cadre. »
Récemment, son atelier a pris en charge l’encadrement du
Caravage de Toulouse, le fameux Judith et Holopherne découvert au fond d’un
grenier par le commissaire priseur Marc Labarbe en 2014. « Mes clients
m’apportent des chefs d’œuvre, c’est un bonheur inouï de les avoir entre les
mains, mais pour un encadreur, même une petite chose pleine de sentiments
apporte de la satisfaction. En fait, le but de l’encadreur est d’apporter un
point d’orgue à l’intention du collectionneur », résume-t-il.
http://babone5go2.blogspot.com/2019/06/le-caravage-vendu-en-douce.html
Reconnue Entreprise du patrimoine vivant par le ministère de l’Économie en 2017 – un label mis en place par l’Etat pour valoriser les savoir-faire artisanaux d’excellence et éviter « la disparition de talents économiques et culturels d’exception » -, l’enseigne d’Antoine Béchet est le seul atelier d’encadrement d’art français à avoir obtenu cette distinction. « Ce label est plutôt honorifique, mais nous sommes heureux de l’avoir obtenu. C’est une reconnaissance pour tout le travail que l’on fait et c’est important pour un métier qui n’est pas forcément sur le devant de la scène. »
Carine CLAUDE _ Article publié dans le numéro spécial Salon du dessin 2019 d’AMA (Art média Agency), mars 2019
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