"Artiste de tout premier plan réputé pour ses scènes
élégantes de la vie mondaine parisienne et londonienne, James Tissot a été l’un
des peintres les plus prospères et les plus encensés par la critique de sa
génération. Le Legion of Honor de San Francisco a récemment consacré une
rétrospective à cet artiste et l’exposition, pour laquelle le Musée des
beaux-arts du Canada a prêté deux tableaux du peintre français, est aujourd’hui
à l’affiche au musée d’Orsay de Paris". Je cite un article récent, faisant la publicité de l'exposition au musée d'Orsay... malheureusement remise !
J'ai titré ce billet d'aujourd'hui : "Tissot à Londres", en restant délibérément banal. Hier je parlais de "Tissot l'ambigu". Si aujourd'hui j'avais titré : Tissot peint "la partie carrée", vous m'auriez trouvé provocant ? Rassurez-vous : pas davantage que le déjeuner sur l'herbe, d'Edouard Manet, vous ne verrez rien d'ambigu, tout se situe dans l'imaginaire !
J'ai titré ce billet d'aujourd'hui : "Tissot à Londres", en restant délibérément banal. Hier je parlais de "Tissot l'ambigu". Si aujourd'hui j'avais titré : Tissot peint "la partie carrée", vous m'auriez trouvé provocant ? Rassurez-vous : pas davantage que le déjeuner sur l'herbe, d'Edouard Manet, vous ne verrez rien d'ambigu, tout se situe dans l'imaginaire !
et l'autre dame, en nuisette, patauge dans la rivière voisine mais attendez la suite ! |
Né à Nantes d’une mère modiste et d’un père drapier, Jacques
Joseph Tissot adopte néanmoins le pseudonyme de James Tissot par pure
anglophilie. Vers 1856, il s’installe à Paris et s’inscrit à l’École des
beaux-arts où il étudie dans l’atelier de Louis Lamothe et de Jean-Hippolyte
Flandrin, deux anciens élèves du peintre néo-classique Jean-Auguste-Dominique
Ingres. En 1859, Tissot participe à la plus importante manifestation artistique
annuelle qu’est le Salon de Paris. Il y expose aussi les années suivantes,
soumettant, à l’instar du populaire peintre belge Henri Ley, des scènes de
genre médiévales avant de délaisser graduellement la fiction historique au
profit de thèmes plus modernes.
James Tissot, La Lettre, v.1878. Huile sur toile, 71.4 x
107.1 cm. Acheté en 1964. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
aujourd'hui, on rompt une relation par SMS. Autrefois, on écrivait une lettre de rupture !
"Jour saint" : comme de nos jours, il est consacré au pique-nique mondain au bord de l'eau |
Quel titre... quelle scène...! "La partie carrée", une scène de genre acquise en 2018 par le
Musée des beaux-arts du Canada, est l’un des derniers tableaux peints par
Tissot à Paris avant son départ pour l’Angleterre, en 1871. Elle fait partie du
groupe d’environ sept œuvres de l’artiste à recréer l’atmosphère du Directoire,
cet organe gouvernemental composé de cinq Directeurs créé en 1795 et renversé
cinq ans plus tard par Napoléon Bonaparte. Le Directoire marque une période de
rémission après la Terreur, soit l’année la plus sanglante de la Révolution
française. Sous ce nouveau régime fleurit une sous-culture soi-disant
aristocratique qu’incarnent les Merveilleuses (femmes) et les Incroyables
(hommes) : une jeunesse dorée dont le style de vie luxueux s’exprime surtout
par l’exubérance de leur comportement et l’extravagance de leurs costumes.
James Tissot, 1870. Huile sur toile, 120 x 145.8 x 2 cm. Acheté en 2018. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. |
La partie carrée s’inspire peut-être de deux ouvrages des
frères Edmond et Jules de Goncourt (Histoire de la société française pendant la
Révolution [1854] et Histoire de la société française pendant le Directoire
[1855]) ayant contribué à façonner le jugement du XIXe siècle sur cette période
historique. La tenue vestimentaire des personnages de cette scène à
l’atmosphère délibérément drôle et gênante évoque le Directoire. Le critique P.
de Saint-Victor, qui avait vu le tableau au Salon de 1870, s’était dit dégoûté
par ce qu’il avait appelé la vulgarité des sujets, y voyant un groupe de
domestiques débauchés qui auraient pillé le garde-manger et enfilé les vêtements
de leurs maîtres. Ici, les personnages apparaissent réduits dans des costumes
historiques qui ne leur vont pas et qui pourraient bien avoir appartenu à la
garde-robe d’accessoires de l’artiste, et leur comportement grégaire aurait
évidemment suggéré un renversement de l’ordre social, une sorte de « comédie »
destinée à faire rire. Un effet qui rappelle la description des Goncourt pour
qui le Directoire était une société à l’envers, écrivant : -« Qui s’aviserait de
demander à ce riche, enrichi d’un coup de dés, de savoir être riche ?
Iriez-vous exiger de ce petit peuple couché laquais, levé seigneur, qu’il soit
une société, – et du Directoire, qu’il ne soit pas une mascarade ? » Cette
impression de confusion doit aussi avoir trouvé un écho dans les inquiétudes
créées par la rapidité des changements économiques et par les tensions sociales
en découlant. Comme le note le spécialiste de Tissot, Cyrille Sciama, nos
joyeux convives lèvent leurs verres à la République, et les observateurs
auraient saisi la critique implicite du Second Empire et de la cour obsédée par
la mode de l’impératrice Eugénie.
c'est bien une pyramide d'écrevisses, et du pâté en croûte, moins bien que du homard, mais pas mal non ? |
Toutefois la scène n’est pas une simple critique : la
représentation fidèle des choses, des surfaces et des couleurs due à
l’observation minutieuse et à la technique méticuleuse de Tissot suscite un pur
plaisir sensuel. Le traitement exquis des vêtements rendus avec un extrême
souci du détail – des soies et des gazes aux plis et plissés délicats – est
typique de la manière du peintre.
Je ne suis pas seul à le penser : La partie carrée s’inspire bien du tableau de l’ami de
Tissot, Édouard Manet, Le déjeuner sur l’herbe, exposé en 1863 au Salon des
Refusés, et du Déjeuner sur l’herbe peint deux ans plus tard par Claude Monet
en hommage et en défi à l’égard de Manet. À titre de comparaison, notons que
les deux couples flottent dans leurs vêtements et que les détails ouvertement
aguicheurs – le regard éméché, la cheville qui s’exhibe ou la fleur épinglée
juste à droite du décolleté – multiplient les allusions sexuelles.
dans ce cas, il y a beaucoup trop de convives pour une partie carrée ! |
En tant que scène de genre historique ayant une portée
contemporaine, La partie carrée occupe une place de choix dans le groupe
d’œuvres sur le Directoire peintes par Tissot. La jeune femme à gauche apparaît
dans plusieurs autres tableaux de cette série (Jeune femme à l’éventail, Sur la
rivière ou encore Jeune femme en bateau dont le Musée possède un dessin
préparatoire). Aucune de ces toiles ne possède cependant la complexité des
références à l’histoire et à l’histoire de l’art de La partie carrée.
à quoi...ou qui ? rêve la rêveuse ? |
et voici le château de famille à Buillon dans le Doubs
Le père du peintre James, originaire de Franche-Comté
(villages de Maîche et Trévillers), s'est installé à Nantes comme drapier et a
fait suffisamment fortune pour faire construire et aménager dans sa région
d'origine le château de Buillon. Cette belle propriété a appartenu à la
famille de James Tissot aux XIXè et XXè siècles. A différents endroits dans le
parc, James Tissot a fait construire des éléments dans un style moyenâgeux (une
tour en ruine en bordure de propriété par exemple) et des dépendances (moulin,
bâtiment d'entrée...). Il a fini sa vie dans le château familial et y meurt le
8 août 1902.
regardez le reportage sur Arte :
pour vos vacances d'été, passées dans notre doulce France
il y a bien des jolis endroits à découvrir !