On passerait son temps à lire National Geographic : voici sur quoi je tombe :
Snefou le précurseur des pyramides-à-surface-lisse
et-pas-Keops
Les pyramides de Gizeh sont trompeuses. Leur perfection
géométrique ainsi que l’harmonie de leur agencement incitent en effet à croire
que, comme Athéna sortie tout armée du crâne de Zeus, elles surgirent, déjà
achevées, de l’esprit d’architectes de génie.
Cette impression puissante n’a
cessé d’inspirer les divagations ésotériques qui, depuis plusieurs siècles,
attribuent leur construction à l’œuvre d’initiés, détenteurs d’une sagesse
supérieure, ou d’extraterrestres venus fort complaisamment dispenser leur
science aux pharaons. Plus simplement, comme leurs collègues de toutes les
époques, les ingénieurs du 3è millénaire av. J.-C. durent, pour parvenir à
bâtir la première pyramide à faces lisses, multiplier les prototypes et essuyer
des échecs proprement monumentaux.
L’histoire des pyramides remonte,
au moins, au règne de Djéser (-2667-2648), qui fit bâtir l’édifice à degrés qui
domine son complexe funéraire à Saqqarah. Les progrès techniques les plus
spectaculaires eurent lieu toutefois quelques décennies plus tard, sous Houni
(-2637-2613), mais surtout sous son successeur, Snefrou (-2613-2589). C’est en
réalité sous le règne de celui-ci que la totalité des solutions techniques
mises en œuvre pour construire les pyramides à faces lisses furent découvertes.
Solutions que s’empressa de reprendre Kheops (-2589-2566), le commanditaire de
la première des célèbres pyramides de Gizeh.
C’est en effet sous Snefrou que
l’on passa d’un empilement de structures rectangulaires de plus en plus
petites, comme c’est le cas dans la pyramide à degrés, à la réalisation d’un
solide pyramidal de base carrée, aux proportions cyclopéennes. Cette
transformation de la forme des tombes royales entraîna tout naturellement son
lot de tâtonnements et de ratages. Des errements dont témoignent les trois
pyramides qui se dressent toujours à Dahchour et à Meidoum, respectivement à 25
et 60 kilomètres au sud du Caire.
Meidoum, l'essai raté
Énorme tour surgissant d’un chaos
de pierres, la pyramide de Meidoum apparaît, saisissante, au détour de la route
qui conduit du Caire au Fayoum, comme si, remontant des entrailles de la terre,
la pyramide à degrés avait perforé la surface du sol en sortant d’un cratère. À
l’origine, il s’agissait d’un édifice très proche de celui bâti par Djéser à
Saqqarah, à la différence près qu’il comportait non pas six, mais sept ou huit
degrés.
C’est sur cette matrice que
furent réalisées les premières tentatives de lissage des faces. Les maçons
s’employèrent alors à combler les « marches » en agençant des blocs de pierre,
avant de procéder à la pose d’un appareil extérieur de bonne qualité destiné à
parer l’édifice en donnant à ses faces un aspect uni.
Hélas, très vite,
vraisemblablement dans les années qui suivirent l’achèvement du chantier,
remplissage et parement commencèrent à dégringoler, formant peu à peu les hauts
terrils pierreux d’où émerge aujourd’hui la pyramide à degrés. L’analyse
architectonique de ces ruines a montré que cet effondrement était dû à au moins
deux facteurs.
Le premier est directement lié à
l’histoire de l’édifice. Comme les architectes royaux s’étaient appliqués à
lisser la pyramide à degrés parfaitement achevée, le parement calcaire de
grande qualité recouvrant cette dernière n’offrait pas de prises aux blocs
ajoutés pour remplir les « marches ». Mal soudés au cœur de la pyramide, ces
derniers finirent par glisser d’autant plus que, composée de pierres grossièrement
taillées et agencées sans soin, cette maçonnerie était elle-même d’une grande
fragilité. Il est très probable que la pyramide à degrés avait été initialement
commandée par le roi Houni. Mais c’est à Snefrou que nous devons la tentative
malheureuse d’habiller cet édifice pour en faire une pyramide à faces lisses.
Il est donc possible que la dernière demeure d’Houni ait servi à son successeur
pour expérimenter à peu de frais un projet qu’il destinait à son propre
tombeau.
Une hauteur jamais atteinte
C’est le plateau de Dahchour,
situé 35 kilomètres plus au nord, qui fut choisi pour accueillir celui-ci.
L’objectif initial assigné par Snefrou à ses architectes était ambitieux : il
s’agissait d’édifier une pyramide à faces lisses dont la hauteur ferait presque
le double de celle de Djéser à Saqqarah. Mais, pour des raisons qui nous
échappent, à la moitié de la hauteur prévue, la pente des faces fut réduite par
les maçons, passant de 54° à 43°.
Ce changement donna à cette
construction une forme unique, qui lui vaut d’être qualifiée de «rhomboïdal »
(du grec rhombos, « losange »). Malgré cette étrangeté, la première pyramide
de Snefrou constitua, notamment du point de vue de la hauteur atteinte (105
mètres contre 62 mètres pour celle de Djéser à Saqqarah), un premier pas
significatif. Un peu plus loin au nord-est, sur les bords du Nil, se dressait
le temple associé à la pyramide.
Les bas-reliefs qui ornaient ses
murs représentaient notamment une procession de femmes qui personnifiaient les
domaines agricoles servant à alimenter le culte du roi défunt et à rémunérer le
clergé attaché à la pyramide.
la forme parfaite est trouvée
Est-ce la bizarrerie de la forme
de la pyramide rhomboïdale qui poussa Snefrou à commander la construction d’un
autre tombeau ? La question est, dans l’état actuel de nos connaissances,
impossible à trancher. Quoi qu’il en soit, le cahier des charges vraisemblablement
imposé par le roi ne facilita pas la tâche des architectes royaux.
En donnant à la nouvelle
pyramide une base de 220 mètres de côté, soit 76 mètres de plus que celle de
Meidoum, le roi ajoutait une difficulté supplémentaire en compliquant leurs
calculs. Construire une pyramide à faces lisses implique en effet d’établir de
façon très précise l’angle des faces de manière que celles-ci se recoupent
parfaitement au sommet de l’édifice.
C’est en puisant dans ce que
leurs échecs précédents leur avaient appris que les architectes royaux
parvinrent à leurs fins. Non seulement la forme de la pyramide était enfin parfaite,
mais, à l’exception de la chute du parement de calcaire blanc qui dévoila les
pierres rouges employées pour bâtir les pentes, l’édifice est toujours debout
et constitue la plus ancienne pyramide à pentes lisses d’Égypte. C’est donc à
Snefrou que nous devons cette réussite, dont les résultats furent repris et
magnifiés par ses successeurs immédiats : Kheops, Khephren et Mykérinos.
Si la perfection des trois
pyramides de Gizeh a jeté aujourd’hui sur Snefrou et ses prototypes une ombre
épaisse, la situation était toute différente dans l’Antiquité. Ce n’est pas sur
le plateau de Gizeh, mais bien à Dahchour que les pharaons du Moyen Empire
(-2033-1786 av. J.-C.) Amenemhat II, Sésostris III et Amenemhat III choisirent
en effet d’établir, près de sept siècles plus tard, leurs sépultures,
inscrivant ainsi leur règne dans la continuité de celui de Snefrou.
Plus encore, à cette époque, ce dernier avait été divinisé
et recevait un culte en Moyenne-Égypte. La ferveur régnant autour du dieu
Snefrou était telle que de nombreux parents donnaient alors à leurs enfants un
nom composé sur le sien : plus d’un millénaire après sa mort, des petits
Snefrouménou (« Snefrou-demeure »), Snefrouhotep (« Snefrou-est-apaisé »)
couraient ainsi sous le soleil d’Égypte.
De manière plus officielle,
associé aux mines et aux carrières, le dieu Snefrou fut aussi adoré par les
ouvriers royaux qui extrayaient de la turquoise sur le site du Sérabit
el-Khadim, dans le Sinaï. C’est toutefois la littérature qui assura sa
postérité au sein de la culture égyptienne. Snefrou joue en effet un rôle
central dans l’un des contes du papyrus Westcar daté du milieu du 2e millénaire
av. J.-C. Ce récit met en scène le roi se promenant paisiblement dans une
barque aux rames manipulées par des jeunes filles.
Or, au milieu des rires et des
jeux, la plus belle de ces rameuses laissa filer à l’eau un bijou en forme de
poisson. Convoqué par le roi, un magicien parvint à ouvrir les eaux du lac en
deux et à retrouver le précieux objet qui gisait par le fond. Le roi put alors
reprendre ses activités et passer la journée entière en réjouissances.
Léger, recourant volontiers à la magie, le Snefrou des contes égyptiens n’a
décidément rien à voir avec la redoutable opiniâtreté que l’on devine chez
celui qui parvint, à force d’efforts, à reposer au cœur de la première pyramide
à faces lisses d’Égypte.
ici nous n'avons pas besoin d'aller si loin :
ce matin le Quairat était illuminé
et ses faces lisses et blanches luisaient au soleil