samedi 16 février 2019

Les ocelles de Lopinga achine (5)

Un papillon absent de mes mémoires ! Il est temps de combler cette lacune !

Ma réticence à en parler ? un simple problème de dénomination non résolu ! Si j’avais été anglais, je me serais contenté de Woodland Brown, un nom facile, désignant un satyride des bois, reconnaissable par ses ocelles : tous ses cousins ont des couleurs sombres, mais lui se distingue aisément, même si des copains lui ressemblent : Maniola jurtina, et Aphantopus hyperantus, sans omettre Enodia anthedon, mais il vit au Canada.

Vous avez compris que je suis littéralement fasciné par les ocelles des papillons, comparables à des yeux, et là, il y en a facilement dix de chaque coté, dessus, et aussi dessous, soit en tout : quarante !  tout est fait pour alerter les prédateurs, dans toutes les positions !


le bouquin de Scopoli : Papilio Achine

Difficile de se résoudre à abandonner : d’où vient le nom, attribué par Scopoli, en 1763, de Lopinga ? Je découvre que c'est le nom d’un bulletin (fort bien fait) du Parque Nacional Picos de Europa (1). 

Une fois de plus, c'est Jean-Yves Cordier qui me sauve : voici ses propos : N.b : il est aussi possible de reconsidérer le cas du nom de genre Lopinga, Moore, 1893 (cf. La Bacchante Lopinga achine) : la publication Lepid. indic. (2) page 11 indique que les papillons ont été découverts par Oberthür lors de son voyage au Yunnan. Or, les géographes du XVIIIe parlaient d'un Mont Loping en Chine, mais, surtout, la région de Luoping se situe dans le Yunnan à 228 km de Kunming, et semble une hypothèse sérieuse pour le nom de Lopinga.
pas mal non ?

Je retrouve aussi le bouquin initial de Scopoli, mais il le nomme Papilio achine ? Alors : que signifie : achine ? Les Allemands font comme les Anglais, et disent : Gelbringfalter, papillon-aux-anneaux-beige ! Par contre, Spuller, qui est un célèbre entomologiste Allemand, a cette explication : "die Trauernde von der Farbe des Schemetterlings, que l'on peut traduire par : "l'endeuillée, en raison de la couleur du papillon". Cela voudrait-il dire que achine = deuil ? Non ! je risque une explication ? Acinus en latin, transposé en achinus, désigne de petites baies, telles qu'en produisent les arbustes. Est-ce une manière de désigner ainsi les ocelles ? Ou encore, ces ocelles sont-elles assimilées à des larmes ? ? Je ne trouve rien de mieux à vous proposer, l'enquête continue !

En France, pays toujours porté vers la poésie, le nom vulgaire est « la Bacchante ». Il faut dire que le vol de notre papillon est très particulier : de temps à autre, il se lâche, faisant des sauts, et remontant tout cela en voltigeant. Or les prêtresses de Bacchus, étaient réputées pour courir au hasard, échevelées, la tête couronnée de lierre, le thyrse à la main, dansant et remplissant l'air de cris discordants. Il faut ajouter qu'autrefois on disait Déjanine ! C'est Geoffroy qui en 1762 a donné ce nom français à notre Achine. Là, c'est compréhensible !

Les ocelles, simples yeux, sont quand même bien conçus : le fonds sombre est soit laissé tel quel, soit sous-tendu de blanc faisant contraste. Par dessus, des anneaux concentriques, au milieu un point sombre, le centre blanc, comme une pupille. Tout est fait pour attirer l'oeil n'est-ce pas ? 




il existe des études sur les eyespots de Lopinga achine :



Le genre Lopinga ne comprend que 4 espèces. Tous ont leur noyau de population en Chine, où le genre a probablement évolué. Deux ont été suffisamment adaptables pour pouvoir étendre leurs chaînes vers l'ouest: la  déidamie , qui atteint les montagnes de l'Oural; et achine, qui a réussi à s'étendre aussi loin à l'ouest que les Pyrénées.

En Europe, Lopinga achine est une espèce en déclin, généralement considérée comme rare, mais elle peut être localement commune dans certaines parties de la Suisse, de la Hongrie et de la Croatie.


ne pas confondre avec hyperantus : ocelles moins nombreux et simplifiés

L'espèce se trouve dans des habitats en lisière des bois herbeuses à des altitudes comprises entre environ 200-1500m. La période de vol des adultes va de la mi-juin au début juillet. Les œufs sont pondus sur les brins d'herbe poussant au soleil, généralement près d'arbres ou de buissons. Les larves éclosent à la mi-juillet, se nourrissent pendant quelques semaines, puis hibernent à la base des touffes d'herbe. Les chenilles se réveillent au printemps, reprennent l'alimentation et deviennent pleinement développés à la fin du mois de mai.

À son dernier stade, la chenille est vert clair, avec une bande blanche visible sous les spiracles le long des segments abdominaux et une série de lignes très fines le long du dos. Le corps et la tête sont peu couverts de courts poils blanchâtres.


Les plantes alimentaires sont des herbes et des carex, mais l'espèce exacte utilisée pour la ponte semble varier d'un site à l'autre. En France, on pense que Brachypodium sylvaticum et B. pinnatum sont les plantes de base, mais les observations de Bergman sur le terrain ont montré que 85% des larves se nourrissaient de Carex montana sur un site suédois. Certains ont également été retrouvés sur Dechampsia cespitosa mais ce dernier avait un taux de mortalité élevé.

Si l'on est réaliste, on doit bien avouer que le mythe selon lequel les papillons se nourrissent de nectar sucré, recurilli sur les "arbres aux papillons", est complètement utopique : recherchez, dans les endroits où les animaux rejettent encore leurs belles et odorantes déjections, les crottes qu'ils ont laissées, et voyez comme elles attirent insectes, mouches, guêpes et papillons : notre Bacchante n'est pas en reste, et va disputer ces putréfactions avec les petits et grands Mars, petits et grands Sylvains. Nos amis Espagnols ont érigé cette constatation en système, faisant cohabiter dans leurs parcs naturels la faune avec les mammifères herbivores :



Apatura ilia, dessous : metis
impressionnant, le pouvoir d'une crotte !

Neptis rivularis au Daghestan


c'est un piège ! c'est Enodia anthedon, Amérique du Nord, aucun rapport ...  quoique...même amour des crottes !






Les mâles se nourrissent seuls ou en petits groupes, à des sources d'humidité minéralisée, notamment des suintements. Le must ? Un sol teinté d'urine, (le pied total...!), des lits de rivière asséchés et des excréments. Les femelles ont un comportement plus secret mais ont été enregistrées se nourrissant de sécrétions de pucerons sur les feuilles et les bourgeons de divers arbres.










préparez vos futures rencontres !

le mieux, c'est en Ariège :





PS : C'est un satyride : http://mesamispapillons.blogspot.com/2011/03/satyres.html


(1) Pour compléter : revue Lopinga 2017 : les techniques de fauche adaptées à la préservation des chenilles :
voir pages 25 à 27/32