Les cinq fois où je me suis rendu
professionnellement à Moulins, dans la période 1998-2002, c'était pour la visite-inspection de trois jours de la DDAF, (service oublié puisque remplacé aujourd’hui par la DDT) ; visite protocolaire à la
Préfecture, coucher sur place, horaires matinaux et fins de journées tardives, pas trop question de faire du tourisme...sauf...aux Palets d’or, une confiserie recommandée
par mon livre de chevet de l’époque : les merveilles culinaires de la France
de Gilles Pudlowski, critique gastronome, bon vivant, dont j’ai
récolté systématiquement dans mon tour de France les merveilles énumérées ville par ville, comme les macarons des soeurs Macaron à Nancy. Bref ! Aux Palets d'or, sont introduites des feuilles d'or dans le chocolat : oui l'or est comestible, et n'en consomment pas que les premiers de cordée, mais aussi les esthètes des pays asiatiques (quand les cornes de rhinocéros font défaut). Mais le mieux, c'est dans le chocolat !
Pudlowski ne signalait pas à l’époque le
Grand Café ! Grave erreur ! Je la répare aujourd’hui, pour vous en
montrer la verrière… et vous faire découvrir l’origine de la bière, représentée (au plafond) !
je m'adresse ainsi aujourd'hui à tous les amis qui, comme moi,
aiment boire un (vrai) demi !
aiment boire un (vrai) demi !
oui, cette jolie Alsacienne-nue brandit un demi moussant ! |
la signature de Sauroy en bas à droite et la date : 1899 |
Le Grand café est un
café-restaurant situé 49, place d'Allier, dans le centre de Moulins. Considéré
comme l'un des plus beaux cafés de France, il fut créé en 1899. Son
architecture intérieure s'apparente au style Rocaille, un style revenu à la
mode dans la seconde moitié du XIXe siècle, mais avec une expression baroque
annonciatrice de l'Art nouveau que l'on retrouve sur sa façade.
La salle principale est décorée d’énormes glaces murales, de pilastres en stuc
avec guirlandes de feuillage, de ferronneries, de différents luminaires dont un
grand lustre de bronze, d'un plafond avec une fresque allégorique, une
verrière et de peintures murales.
Au rez-de-chaussée, la grande
salle rectangulaire est divisée en deux, division marquée par une grande poutre
métallique centrale siglée Eiffel, recouverte de stuc et qui porte un immense
lustre en bronze. Le fond de la salle est dominé par une mezzanine à la
balustrade en fer forgé très travaillée qui porte une pendule.
Les murs longitudinaux sont ornés, entre chaque pilastre de
stuc, de bois chantournés surmontés d'immenses miroirs aux encadrements dorés
qui créent une perspective infinie.
Au plafond, sur la partie avant
de la salle, la partie « café », la fresque peinte par Auguste Sauroy
représente la légende de Gambrinus, roi mythique de Flandre et Brabant, à qui
on attribue la naissance de la bière. Il existait probablement une autre fresque
sur le plafond de l'arrière de la salle, la partie « brasserie », mais elle a
été remplacée plus tard par une grande verrière dans le style années 30.
Le concept de café-brasserie
commence à essaimer les grandes villes de France à la fin du xxe siècle, en
partie sous l'impulsion d'Alsaciens ayant fui l'annexion allemande de leur
région après la défaite de 1870. Les architectes laissent alors libre court à
leur imagination durant cette période de la Belle époque, marquée par une
intense activité culturelle. Ces cafés vont souvent devenir des hauts lieux de
la vie intellectuelle locale.
Un dénommé Renoux, originaire de
Montluçon et qui avait été garçon de café dans la brasserie parisienne Lipp
cherchait un lieu pour créer un tel établissement. Il va le trouver sur la
place de l'Allier, qui est devenue le nouveau centre de l'activité commerciale
de Moulins : un marché couvert à structure métallique y a été inauguré en 1880,
le Crédit Lyonnais s'implantant à Moulins, installe sa succursale sur la place
en 1881 (au n° 66 mais déménagera dans un immeuble spécialement construit au n°
33 en 1910, la Société générale s'installera également sur cette place en 1910).
Les architectes moulinois reproduisent dans ce quartier les évolutions architecturales
de l'époque ainsi les ondulations apparaissent sur les façades, balcons et
fenêtres comme par exemple sur le typique immeuble des Nouvelles Galeries qui
ouvrent en 1914 rue de l'Allier.
En 1898, Renoux va investir 250
000 francs-or, (équivalent de 600 000 € de 2016) pour la création de ce café.
Il fait appel à une de ses connaissances, l'architecte italien Golfione, alors
directeur de l'école municipale des beaux-arts, qui va concevoir un décor un
peu fantastique, qui annonce l'Art nouveau.
Coup de chance, je découvre qu’il
dirigera aussi la décoration de la confiserie Aux Palets d'or ! Galfione
confie la décoration du plafond du Grand café au peintre Auguste Sauroy. Cet
artiste local avait peint en 1894 sur le plafond du nouveau théâtre de la
ville, une fresque (disparue aujourd'hui) en hommage au poète symboliste
Théodore de Banville né à Moulins et mort quelques années plus tôt. Il
participa en 1896, toujours à Moulins, à la décoration de la maison Mantin,
riche demeure bourgeoise devenue aujourd'hui musée. Une mezzanine est
construite à l'arrière du rez-de-chaussée pour qu'un orchestre puisse s'y
installer, le Grand café restera un café-concert jusque dans les années 1960. Il ouvre en 1899.
Le café présentera le « cosmorama
mouvant », où l'on présentait, avec un jeu de lentilles et de tableaux, des
lieux pittoresques du monde. Les prospectus distribués dans la ville parlaient
d'un spectacle artistique et mondain sans rival, variant tous les lundi,
mercredi et vendredi: illusion complète. Vers 1905, le Grand café offrira les
premières séances de cinématographe de la ville, d'abord données en plein air sur la place. L'appareil de projection
était alors monté sur le balcon extérieur du premier étage, l'orchestre
installé sur la mezzanine à l'intérieur jouant pendant la projection.
En ce début de siècle, l'ambiance
y est feutrée. Le Grand café est fréquenté par les notables de Moulins dont les
hauts fonctionnaires de la Préfecture, les riches commerçants
et les marchands de bestiaux après les foires. Je m’en veux d’avoir raté ça, je
devais travailler trop, reproche qui me poursuit.
C'est à cette période que Coco
Chanel, qui s'appelait encore Gabrielle Chasnel et qui travaillait alors comme
couturière à la Maison Grampayre, une mercerie située à moins de 200 mètres de
là, fréquenta le Grand café, et où elle s'y est peut-être produit comme
chanteuse. Avec sa tante Adrienne, de deux ans son ainée, elles y ont leur
premier contact avec la bourgeoisie. Elles y fréquentent les officiers du 10è régiment de chasseurs à cheval qu'elles suivront ensuite
au café de la Rotonde (aujourd'hui disparu), un café-concert plus festif et
bruyant et où elle gagnera le surnom de « Coco », inspiré d'une chanson qu'elle
y interprétait.
Le Grand café en est à son
cinquième propriétaire depuis sa création. Les patronnes actuelles sont les deux filles de Christian Belin : Maud et Alexandra, avec Mickaël Aupetit aux cuisines. Fin 2013, le Grand café décroche le label d'État de Maître
restaurateur. En mars 2014, il est rénové et la cuisine est étendue de 20 à 80 m2 ouvrant désormais sur la salle. Le local voisin est annexé pour servir de crêperie pour les clients disposant de plus petits budgets.
C'est ici qu'a été tourné le téléfilm
Coco Chanel, réalisé par Christian Duguay en 2008.
Et voici la verrière :
Vous aussi faites le tour de France de Pudlowski :
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