le retour
Je ne vous l’ai pas dit ? Je
suis la réincarnation de Babonius aquaeductae,
un ingénieur romain assez renommé ma fois, féru d’hydraulique gravitaire. Le
gravitaire c’est quand les pompes et les tuyaux sous pression n’existaient pas,
et que la surface de l’eau était libre. Il existe des formules, qui donnent le
débit en fonction de la surface mouillée, et de la vitesse de l’eau. Comme dans
les canaux de Provence tout autour d’Arles. La vitesse de base, c’est 1 m/s.
Mais elle varie en fonction du frottement des parois, c’est mieux quand elles
sont lisses évidemment, d’où le béton de tuileau qui revêt les parois internes
des canaux romains. Et enfin en fonction de la pente. Dans notre cas l’idée est
d’avoir la pente minimale pour que ça coule, pour diminuer au maximum la
longueur du canal (et ainsi le travail des esclaves).
voici le site sur la photo aérienne : la parcelle piétinée au centre, l'arbre en haut cache le captage de l'autre côté au nord, on devine le lavoir entouré d'eau |
à droite du moulin, l'exutoire de la résurgence actuelle forme le ruisseau de Tibiran. Notre canal (perché) repartait, lui, au sud ! |
Ma réincarnation était
silencieuse depuis un moment, voilà qu’elle se réveille avec vivacité, va
savoir pourquoi, tellement qu’elle m’ordonne (impérativement) de me rendre à la
source des eaux de Saint-Bertrand de Comminges. Toutes affaires cessantes !
Je n’y suis pas allé depuis trois ans, et ne me rappelle absolument pas où c’est,
à tel point que je n’arrive pas à repérer l’endroit sur la photo aérienne !
Le plus simple est d’y aller, pas
de problème, sauf arrivé sur place, où est-ce ? Je trouve bien l’église, la mairie, mais ça
ne me donne rien ! Un repère surgit à propos (de mon moi profond) : il y a
tout proche un lavoir, alimenté par une source. Une résurgence très typique,
très belle, peut-être un autochtone saura-t-il me renseigner ? Je tombe
sur le seul être vivant du lieu, il sort sa voiture, je lui demande le lavoir ? -"Depuis l’église, en face, c’est tout droit jusqu’à une petite place avec un calvaire ! Là, il faut tourner à gauche" ! Effectivement, je retrouve la mémoire une fois
rendu sur place. Je prends mes repères, avec le GPS, et retrouve bien au retour l’emplacement
sur la photo aérienne.
L’ambiance du coin, est
la présence d’affleurements calcaires partout. Vous savez que les grottes de Tibiran sont
aussi célèbres que celles de Gargas ? Grosse différence, elles sont
fermées au public, mais contiennent des traces de mains avec des doigts coupés,
comme dans la grotte visitable. Leurs entrées sont à quelques centaines de
mètres l’une de l’autre ! Encore une fois, nous sommes dans le karst, et
les dérivations des rivières dont l’Arize se baladent souvent en profondeur.
Pour ressortir dans les points bas.
Je retrouve mon point bas, puisqu’ici
au pied d’un surplomb (conforté par un mur romain) existe une source, qui coule
assez fort en cette fin d’été. Elle alimente le lavoir. Et une petite mare
transparente, due au fait que l’écoulement est bouché à l’aval : un moulin
turbinait cette eau, je ne le vois pas à cause de la végétation, mais il figure sur les vues aériennes.
surplomb du lavoir |
en bas : le lavoir, le mur de soutènement à gauche |
la résurgence naturelle |
vue vers l'étage du canal un peu plus haut, la fuite est à gauche |
Qu’ont fait les romains ? Mes
ancêtres hydrauliciens ont percé une tranchée dans le bas de la colline, et
pour que les côtés tiennent verticalement, ont revêtu chaque côté de pierres
calcaires en gros appareil. La tranchée est pleine d’orties, tant pis, je
rentre dedans, pour retrouver la source et le lavoir. Personne n’y est venu
depuis longtemps ! Je suis alors au rez-de chaussée si je puis dire.
Je vous ai déjà raconté l’histoire,
mais je recommence, m’apercevant que ne vous ayant montré que peu de photos,
vous n’aviez pas les cartes en main pour bien comprendre :
Mes ancêtres ont court-circuité
la résurgence en la captant au-dessus de sa sortie naturelle : ils ont
introduit verticalement un puits carré de marbre, et par le jeu des vases
communicants, l’eau (qui provient de l’Arize beaucoup plus haut) est remontée
dans ce puits artésien artificiel de 3 mètres, atteignant une altitude
suffisante, pour dominer le bas-fond. Ensuite, après 4,5 Km de trajet, elle aboutit à
Saint-Bertrand au-dessus des thermes de la ville basse.
Du coup, par une espèce de magie,
l’eau captée sort de terre sous une dalle qui protège les gens inattentifs du risque de mettre les pieds dedans. File directement dans un canal constitué de dalles
calcaires côté du vide, et continue par des canaux ; des ponts ; des
tunnels. Tout cela a été décrit au XVIIIè siècle, heureusement car aujourd’hui
il est difficile de repérer le trajet.
voici les restes du début du canal, en partie haute, sortant du captage au pied de l'arbre |
sous la palette, le haut du puits carré, couvert par une plaque calcaire, puis le départ du canal |
Il reste quasi intact un morceau
du canal sur place, avec un canal de fuite perpendiculaire, permettant, en cas
de crue, de faire couler l’eau du haut vers le bas occupé aujourd’hui par le
lavoir. Si on remettait les planches dans leurs rainures, cela pourrait
fonctionner ! Juste à l’amont, les parois latérales ont disparu, et on
distingue au sol un parement parfait pour constituer une cascade, quand le captage
est en crue, après les grands orages.
départ du canal de fuite vers le bas-fond à gauche |
les rainures des vannes |
Pigé ? Il existe deux étages,
le naturel que l’on voit encore deux mille ans après. Et l’étage artificiel du
haut, encore bien visible, qui a pour origine un simple orifice artificiel de
1m sur 1m, flanqué d’un arbre poussé juste au coin. L’agriculteur a recouvert
le tout de palettes informes, ça n’a exprès aucune figure, le but étant de
repousser les visiteurs indiscrets. Tout autour, le sol est piétiné de sabots
de vaches et gardé par des oies, toujours pour faire fuir les rares initiés.
le canal de fuite à peu près intact |
juste avant le canal de fuite, la cascade due à la rupture de la berge rive gauche |
Voilà la merveille : un captage artificiel quasi intact sous le camouflage !
le canal est au bout en contrebas. S'il fonctionnait encore, les baignoires pour les vaches seraient inutiles ! |
Je questionne à nouveau un jeune correspondant
de St Bertrand, David P. : il affirme que le captage coule après les gros orages. Je
vous l’avais déjà laissé entendre. Il suffit de chausser des bottes.
Il faut vraiment revenir quand il pleut !
proche de l'aval, la seule trace visible, départ de la route de Saint-Martin l'eau circulait en haut ! |